mardi 4 mars 2003

Flash religieux



Ce matin j'ai fait un truc bizarre. J'ai mis les Teffilines, ces cubes contenant un rouleau de Torah, que l'on accroche avec une laniere en cuir sur son bras gauche et sur son front, pour nous rappeler notre engagement juif au Livre dans notre coeur, nos actes et notre esprit. Sans raison, juste parce que le sac en velours me regardait depuis son coin dans la valise encore posee remplie dans le salon. Le drap blanc du Talith brillait a travers l'ouverture du sac, et aspirait a recouvrir mes epaules. Une kippa etait a portee de main aussi, ainsi que mon livre de priere, le Sidour Pata'h Eliahou que je garde depuis mes premiers cours de Talmud Torah il y a maintenant 20 ans.



Je ne suis en general pas religieux, disons pas pratiquant. Certes je refuse le porc, il parait que c'etait un animal sale a l'epoque ou D.ieu dictait le Livre aux hommes, mais en fait je soupconne davantage un malaise vis-a-vis de la proximite de notre ADN. Disons que je fais semblant de nier qu'il y a des crevettes dans le sushi, meme si les poissons sans ecaille et sans nageoires n'ont pas ete destines au regime humain. Mais je ne m'interroge pas sur l'origine de la viande, je ne verifie pas qu'il ait ete vide de son sang. Je digere mal le lait et la viande ensemble, mais souvent je ne fais pas attention, j'oublie cette separation necessaire qui nous invite a rester aware de cette difference fondamentale entre la chair de la vie qu'il a fallu tuer pour se nourrir, et le lait naturel de la mere nourrissant l'enfant qui a recu la vie. Je ne respecte pas le Chabbat, et donc je suis esclave du travail et du confort de la technologie du feu, je ne sais pas me reposer. Je vis moi aussi beaucoup comme un aveugle qui ne mesure pas l'exception liee a chaque instant de la vie.



Parce que je n'arrive pas a me resoudre a la maxime juive du "fais puis comprend ensuite". Et meme quand je comprend, j'ai peur de perdre ma liberte. Je veux que cela vienne de l'interieur et non de l'exterieur. Et ce matin, avant de partir au boulot, j'ai entrevu la lueur de cette flamme interieure. Je n'exige pas d'elle qu'elle dure, j'ai juste apprecie la saintete du moment, sa poesie.



Maintenant je comprend l'hebreu. Je sais ce que signifient les prieres, je ne me contente plus de les lire phonetiquement comme des paroles de magicien, tel un abracadabra (qui est aussi un mot hebreu, issu de la Kabbale, la formule contrale du Pouvoir du Verbe grace auquel On peut creer le monde) que D.ieu comprendra meme si moi je ne le comprend pas. Et effectivement il n'y a pas d'arnaque: ces prieres sont belles, leurs mots sont chauds, apaisants, eleves. La poesie hebraique est parfaite, le chant des syllabes harmonieux. Elles nous invitent a remercier D.ieu, a le voir. "Ecoute Israel, LeNom est notre D.ieu, LeNom est Un". Grace a ma connaissance de l'hebreu moderne, j'accede au l'hebreu ancien, au point de pouvoir reciter par coeur certaines lignes d'une priere:

áùáúê ááéúê åáìëúê áãøê, åáùëáê åá÷åîê, åëúáúí òì îæåæåú áéúê åáùòøê

c'est-a-dire "Assis dans ta maison et en route sur le chemin, quand tu te couches et quand tu te leves, ecris-les sur les mezouzas de ta maison a chacune de tes portes."

Cette phrase est un appel, via la priere, a etre conscient de chaque instant de ta journee, a les apprecier comme des moments speciaux, toujours rattache a qui tu es et d'ou tu viens. Elle m'a emue car elle correspond exactement a ce que je recherche dans ma vie en ce moment: etre present dans chacun de mes actes, toujours aware des causes, du contexte et des consequences, se rapprocher de l'impeccable.



Ce matin c'est venu de l'interieur, mais l'exterieur a certainement joue aussi. Apres une semaine passee avec des amis plus pratiquants que moi, sans doute que quelquechose a fini par passer. J'avais bien resiste pendant une semaine, me contentant d'enfiler a grand peine mes chaussures de ski en regardant mes amis faire leur priere du matin. Allumant sans vergogne la lumiere et le feu pendant Chabbat, au risque de choquer a rompre la saintete chabbatique de leur journee. Un derapage de leur part tout de meme, quand ils se sont tournes en choeur vers moi lors du diner du vendredi pour me demander ce qu'on fait ce soir, insinuant peut-etre que je leur ouvrirai les portes payantes du pub Le Choucas, tel le goy de service. Pas de vexation de ma part, juste une certaine circonspection devant l'incoherence de cette attitude, l'impression que la paix du chabbat leur coute, qu'ils cherchent des moyens de s'en echapper a l'aide de ceux qui ne sont pas contraints. Heureusement ils ont vite ete conscients de l'absurdite, de la contradiction. Je me refuse a parler de faute, il n'y a ni menace ni punition de la part de D.ieu, juste des benefices et tresors que l'on est libre d'accepter ou de refuser.



Meme si, pour mes propres raisons, je n'observe pas tous les commandements de ma religion, il est certain que je l'aime mon Judaisme. Pratiquants ou pas, religieux ou pas, croyants ou pas, nous appartenons tous au meme peuple uni autour d'un Livre, d'une Histoire, d'une Culture et maintenant d'un Pays retrouve, telle l'Humanite unie sur la croute d'une boule de feu, autour d'un destin commun.



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