mardi 21 septembre 2010

Ecologie et Religion

C'est le silence qui me prend au corps en posant le pied sur le balcon. Un silence a se demander si l'on est devenu sourd.
Il fait plein jour, et tout est éteint, sauf le soleil. Un enfant passe en vélo au milieu de la chaussée vide.

Nous sommes a Kfar Saba, une communauté du centre d’Israël, et c'est le jour du Kippour, le Grand Pardon.
Le Judaïsme demande que pendant les vingt-cinq heures, environ, qui séparent les deux crépuscules, cessent toutes les activités productives, toute forme de création, tout allumage, tout travail. Cela signifie ne pas allumer la lumière, ni l’éteindre, ne pas faire marcher la voiture, ou tout autre machine. Toutes les boutiques sont fermées, tous les échanges interrompus. 
Il y a d'autres interdictions, comme le jeûne ou l'absence de relations sexuelles, mais ce n'est pas le sujet de ce texte.
La laïcité étant très présente en Israël, nombreux sont ceux qui continuent leurs activités dans la sphère privée de leur domicile. 
Mais dans la rue, la "sainteté" de ce jour de fête est omniprésente. Ceci par la seule force de la convention collective, qui prend son origine dans une religion que tous s'accordent à respecter, activement ou passivement, le temps d'une journée

Imaginez toutes les villes, toutes les autoroutes ou les embouteillages sont remplacés par les vélos des enfants, ou aussi des grands (ceux qui ne jeûnent pas).

Le silence absolu qui m’étreignit au réveil n'est rompu que par deux types de sons: les cris des enfants, et le roulis des vélos.
Une fois sorti dans la rue, d'autres sons viennent s'ajouter: le bruit des pas, ses propres pas et ceux que l'on croise, et le cliquetis des feux de circulations, derniers vestiges grotesques d'une circulation automobile disparue.
Une fois les routes vides, la frontière du trottoir disparaît aussitot, et l’itinéraire de la marche n'est plus droit, le pas dérive, divague dans de larges zigzags, le passant ne sachant plus où est sa place. 
Il y a des exceptions: parfois on voit une voiture de police, ou une ambulance, roulant au pas pour intervenir en cas de malaise lié au jeûne ou en cas d'accident de vélo. 
Et il a aussi quelques personnes qui décideront de prendre leur trottinette électrique, ou bien le 4x4 en plastique d'un enfant plus gâté que les autres. Et à chaque fois, le bruit du moteur, qu'il soit à essence ou électrique, apparaît comme une obscénité au milieu de ce silence pur. On ressent profondément le péché du mecanisme automatique, indissociable du bruit inhumain qu'il génère. Il suffit de quelques heures sans voitures pour détester la voiture. Une journée sans technologie pour détester la technologie quand à la tombée de la nuit elle reprend ses droits, ou plutôt ses acquis.
Est-ce une illusion de l'esprit en paix, mais il semble que le ciel soit plus propre, que le bleu soit plus profond et les nuages plus blancs que blancs. Je me souviens d'un Kippour passé dans un village sur les collines de Samarie, et en regardant la vue plongeante sur Tel-Aviv, la nappe jaune de pollution avait bel et bien disparu. Il suffit bien d'une journée sans la moindre activité industrielle pour soigner une ville de sa pollution, du moins de celle qui se voit à des kilomètres.   

Kippour est un grand moment d’écologie, un instant de réconciliation, par voie détournée par la religion, entre l'homme et son environnement naturel. 
L’écologie n'est certes pas l'affaire d'un jour, mais une journée peut à elle seule être porteuse d'une expérience initiatique et fondamentale pour l’écologie. 
Une journée sans technologie et sans industrie est ce qui permet de mesurer empiriquement le volume émotionnel de la technologie et de l'industrie.
Quel meilleur étalon de la consommation d’énergie, quand tous décident de s'affranchir de toute forme d’énergie autre que celle directement produite par leur corps. 

Alors on se prend à rêver qu'il y ait davantage de journées comme Kippour, et de préférence sans interdiction religieuse, pour pouvoir profiter de tous ses plaisirs.
Une journée de la Terre, par exemple, mais une vraie.
Et là on se rend compte combien il serait difficile d'appliquer une telle loi.
Pourtant, il faut savoir qu'il n'y a aucune loi, en Israël, qui interdise l'usage de la voiture a Kippour. Un policier ne peut pas adresser un PV pour conduite en ce jour saint. Mais il le fera quand même, au motif de "conduite dangereuse". Il est effectivement dangereux de conduire sur une route remplie d'enfants insouciants et persuadés qu'aucune voiture ne passera par là.
Cela signifie que le phénomène israélien de Kippour est purement le fruit d'une accord tacite entre les habitants, Juifs et Arabes compris. Au simple motif que c'est une fête religieuse de la religion d'Etat, et que c'est comme çà. Pourtant, on rappellera que la proportion de religieux orthodoxes est minoritaire en Israel, et que les clivages sont vifs entre religieux et laïcs. Mais, comme l'a bien explique Delphine Horvilleur dans son point de vue du 16/9/2010 paru dans "Le Monde", les différences religieuses s'effacent à Kippour, parce que nul n'est parfait et chacun a besoin de se faire pardonner. Il y a de nombreux juifs qui ne sont pas religieux tout a long de l’année, et qui le jour de Kippour portent la Kippa, jeûnent et vont a la synagogue. On les appelle les "Juifs de Kippour". Au final, la proportion de "religieux" a Kippour est beaucoup plus importante, bien au delà des 50%, et par conséquent enfreindre les règles de Kippour en public est une opposition à la majorité qui devient chose désagréable, indécente, gênante, comme il serait gênant de se balader nu dans un village mormon.   
C'est pourquoi Kippour, seul cas d'annulation technologique totale que je connaisse au monde, laisse à penser que seul le vecteur spirituel est capable d'une telle expérience à l’échelle nationale. 
En d'autres termes, il me semble que l’écologie aura besoin d'une forme de spiritualité pour recréer ne serait-ce qu'une journée comme Kippour en Israël. Et elle aura besoin d'une nouvelle religion pour s'appliquer quotidiennement.

Certains parlent d'un 21eme siècle qui sera bleu ou qui ne sera pas, d'autres remplacent volontiers "bleu" par "religieux". Mais au bout du compte, c'est peut-être d'une religion bleue dont ce siècle aura besoin.