mardi 14 janvier 2003

Sionisme personnel



En hebreu, un immigrant se dit "oleh" [òåìä] (comme au flamenco), et au pluriel ca fait olim. On dit surtout "oleh h'adash", c'est a dire nouvel immigrant. C'est un terme specifique a l'immigration en Israel et qui signifie "celui qui monte". Alyah [òìéä], c'est le substantif, qui veut dire "immigration (en Israel)", mais aussi "montee". Pourquoi est-ce que immigrer en Israel c'est "monter", vous l'aurez devine, c'est clairement une reference a la superiorite spirituelle d'Israel sur le reste du monde. Ca s'appelle la pretention. Eh on n'est la le Peuple Elu pour rien quand meme... Et moi j'aime ca les gens (et les pays) qui ont une haute opinion d'eux-memes. Ca les tire vers le haut, ca les pousse a rentrer dans les criteres qu'ils s'auto-affectent.

Desole pour le "reste du Monde" par contre, c'est pas mechant j'vous jure. Faut juste que les autres comprennent que eux aussi ont une valeur unique, et donc superieure, et que eux aussi sont des Elus pour quelquechose. C'est juste une question de conscience de soi. Et nous les juifs/israeliens on vous montre l'exemple, superieurs que nous sommes ! Non mais...

Celui qui emigre, on l'appelle un "yored" [éåøã], celui qui descend. "Yerida" [éøéãä], qui veut donc dire a la fois emigration et descente, a aussi une signification sexuelle, faisant reference a un abaissement en vue de procurer un plaisir bucco-genital (une pipe ou un cunnilingus, ca va on n'est pas chez les bonnes soeurs). Vous imaginez donc les jeux de mots grivois pour parler de ceux qui partent (d'Israel bien sur). Genre ceux qui s'abaissent et vont lecher le reste du monde... De vraies trainees ces emigrants, j'vous jure. Moi ca va je suis un "oleh", je suis du bon cote de la barre.



Mon cousin Eric, qui habite a Rishon Le Tzion, m'a dit un jour: il faut savoir que tous les nouveaux immigrants en Israel on 1 point commun: ils ont tous un grain. Parce qu'il faut avoir un grain pour decider de venir ici. Il faut avoir un grain pour decider de plaquer tout ce qu'on a dans son pays de naissance. Si on part, c'est que forcement on a un probleme. On vient dans l'espoir de resoudre ce probleme en changeant de cadre et en se rapprochant de ses origines ancestrales, mais en fait on emporte nos problemes avec nous. Et on doit toujours les resoudre, parce que c'est une histoire qu'on doit resoudre avec nous-meme. C'est juste l'environnement qui est depaysant...



Mais qu'est-ce que je vais repondre a mes enfants quand ils me demanderont "Papa, pourquoi t'es venu en Israel ?". Faut quand meme que j'apporte une reponse qui me fasse passer pour un mec intelligent, genre sauver l'image du pere...



Techniquement, un jour j'ai quitte mon boulot en France, puis j'en ai cherche un nouveau, et j'ai trouve un truc en Israel. Financierement c'etait le plus interessant, et puis ca faisait 1 an et demi que je me faisais chier en France, partir c'etait peut-etre une bonne idee (oui, il est la mon oleh-problem...). En plus c'etait l'epoque du boom economique, on s'arrachait les ingenieur qui connaissaient quelquechose aux techniques de l'information, et Israel c'etait ZE endroit high-tech dans ce domaine. Bon, manque de bol, je suis arrive plus ou moins le jour de l'Intifada II. Mais faut voir les choses du bon cote, j'aurais jamais bascule a droite sans ca...



Ca c'etait la reponse technique, mais en fait, pourquoi un juif il vient en Israel ? Il faut savoir qu'aux alentours de l'arrivee dans la majorite, environ a la fin de la puberte, le jeune juif fait son premier voyage serieux en Israel, et se prend d'un engouement sans precedent. Plusieurs choses: le climat, la liberte des vacances, le cote vadrouille, et surtout le terrible charme des israelien(ne)s. Et leur maturite surtout, si endurcis par l'armee ou la perspective de l'armee, que nous passons vraiment pour des attardes mentaux a cote d'eux a cet age la. Mais surtout, la-bas tout-le-mone-il-est-juif. On n'imagine pas ce que ca represente, apres avoir grandi dans un pays ou etre juif est une difference, une specificite, une minorite. Israel, c'est une ivresse d'uniformite a cote (en apparence bien sur). Une impression de se sentir moins seul. Le jeune post-pubere revient en general en France avec une volonte farouche de "monter", pestant sur tout ce qui se rapproche de la France et Paris: la grisaille, la routine, les "francais" (il se surprend pour la premiere fois a utiliser ce terme pour designer ses concitoyens, qui sont deja moitie-moins ses compatriotes). Et puis ca se tasse. Le petit bonheur francais reprend le dessus, on oublie l'amour de vacances. Ensuite la survie du sionisme depend de chaque individu.



J'ai vecu le choc sioniste a 17 ans, et j'ai fait mon alyah a 27 ans. La decision etait deja plus mure. Si je devais definir ce qui caracterise le mieux ma motivation quant au sionisme, ca se resume en une phrase: "Ne plus etre juif". En France, etre juif c'est une facon de manger, de s'habiller, de parler, de penser. C'est abandonner toute idee de long terme quand on sort avec une "patos", c'est douter de la sincerite de son amour quand on sort avec une feuj (phobie de l'arrangement). Bien sur on a le droit de ne pas respecter tout ca. Mais alors vient planer le spectre de l'assimilation. Pour rien au monde un juif ne veut renoncer a son heritage bimillenaire, a cette difference qui l'emmerde tant. Certes le judaisme se vit a l'interieur, mais un juif ne peut pas ignorer non plus la "communaute". Car sortir de la communaute c'est un peu s'assimiler aux non-juifs. Finalement les juifs, par peur de s'assimiler, finissent par tous se ressembler a l'interieur de la communaute. Les raisons de cette perversion de l'esprit sont aussi nombreuses que les peripeties des juifs en Europe.



Je suis donc venu en Israel pour ne plus etre Juif, ou plutot pour me debarasser de la peur de l'assimilation, confiant dans une societe qui ne remettrait jamais en question mon identite juive. J'allais devenir un goy. J'allais ecouter de la musique de goy, j'allais m'habiller comme un goy, j'allais penser comme un goy.

Parce que j'allais etre moi, individu avant d'etre juif.







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