samedi 8 février 2003

Voyage au Nord



Reveil a 4h du mat'. Bon, ca c'est la sonnerie du reveil. Levee a 4h40, pas le temps de faire chauffer l'eau une demi-heure pour prendre une douche (ca c'est pour les stereotypes francais), de toutes facons vue comment je vais suer aujourd'hui ca vaut pas le coup. Et puis je pars tout seul, alors si c'est pour la voiture elle s'accomodera. On fait demarrer la caisse a 5h.

Direction le Mont Hermon, a l'extreme-nord, parce que y'a de la neige, et j'ai une envie pressante de ski. Il fait encore nuit, je suis emmitouffle dans ma combi, 1 tshirt et deux pulls.



Au niveau de Hadera, je quitte la route cotiere et je prend la tangente a droite, direction Nord-Est. La route longe la frontiere avec les territoires. Je ne capte plus Galgalatz, la radio musicale de l'Armee (celle qui paye pas les droits de SACEM). Je zappe, tiens de l'arabe. C'est putain de beau. Cette femme chante a capella a merveille, un air d'une tristesse insondable. J'ai decide que j'allais ecouter des radios arabes sur toute la route.

Croisement d'Afula, a droite c'est Jenine. Bon, ca sera pas pour tout de suite. Je continue vers Tiberiade. C'est qu'on a pas le temps, je veux arriver avant 8h la-haut.



Je monte le Golan par le sud. Alternance de pluie et de soleil. Et la la radio annonce la mauvaise nouvelle: non c'est pas encore un astronaute, ni un attentat, c'est autrement douloureux: temps pourri, ils ont ferme le site du Mont Hermon. Naaaaannnnnnnrrgggglll !C'est pas possible, j'y crois pas. Ils peuvent pas me faire ca. C'est qu'il faut que je m'entraine pour Avoriaz, moi ! Aurais-je mieux fait de sortir danser avec la petite rousse rencontree Jeudi soir, plutot qu'aller me coucher a 10h pour me reveiller a temps ? Non, je ne vais pas en plus avoir des regrets ! La realite est tellement insoutenable que je fais une amnesie traumatique. Kol Israel n'a rien dit. Juste la guerre avec l'Irak qui se prepare. Rien d'alarmant. Je continue, je vais essayer, quand meme.



Je longe la frontiere Syrienne sur la plateau du Golan, majestueux. Les nuages sont en dessous de moi a ma gauche. Mas'ade, le village druze, je ne fais que passer. Le chemin est mal indique, mais c'est facile, il faut monter, monter, monter (un bonjour a Nougaro) pour visiter la Liberte. Je ne suis pas seul. Il y a beaucoup d'autres israeliens qui sont venus tenter leur chance. Beaucoup de 4x4.

Mais le verdict tombe sous forme d'une grosse barriere jaune sur la route en pente, gardee par deux soldats en doudoune kaki. Les voitures s'entassent sur le parking devant la barriere du desespoir. On parlemente avec les soldats. "Y'a vraiment aucune chance, dis ?" - Desole, c'est trop la merde la-haut. Tempete et tout et tout. Putain de merde de sa race. J'ai meme pas vu un bloc de neige, ils nous arretent en dessous de l'altitude seuil. On voit quand meme le Mont Hermon enneige a travers les nuages epais qui nous entourent au dessus et en dessous, dans la vallee de la Haute Galilee.

Quelques minutes a se les geler pour digerer la defaite, certains prennent des photos pour dire qu'ils y etaient. On caille notre race. Quelques minutes dans la voiture, au chaud, a esperer je-ne-sais-quoi. Et puis on se resigne, les uns apres les autres. Marche arriere du vaincu, et on descent. Peu importe vers ou, ca n'a plus d'importance.



Commence alors le deuxieme chapitre de ce voyage. Un retour a rallonge. Je descens vers la vallee, j'arrive en bas. Les nuages ont disparu, il fait chaud, j'enleve les couches une a une. Comme par miracle, un miracle de frustration, les nuages sont absents au zenith. Je decide d'aller voir Metulla, la ville la plus nordique d'Israel, a la frontiere libano-syrienne. Une ville de paix, incroyable en ce point ou se touchent trois pays qui se detestent mutuellement.



Je redescens vers Tiberiade. Envie de gouter a la quietude du lac. Arrive pres de l'eau, je vois deux fleches: a droite, la ville de Tiberiade, a gauche, le "Mont des Beatitudes" (Har HaOcher en hebreu, ce que j'aurais traduit plus simplement, mais tout aussi bellement, par "Montagne du Bonheur"). Ca sonne bien ce truc, le bonheur c'est toujours interessant a voir, juste comme ca. J'y vais. En fait il s'agit d'un sanctuaire chretien, construit autour d'une eglise circulaire avec un dome en guise de toit. Lieu Saint, veuillez adopter une tenue correcte et un comportement respectueux. J'espere qu'ils ne me tiendront pas rigueure de ma tenue de surfeur, je ne me sens pas particulierement irrespectueux de toutes facons. C'est beau dedans, effectivement. Et cette vue somptueuse sur le lac... Je tape la discute avec deux americains d'un groupe de pelerins chretiens dont tous les membres ont une casquette rouge, pour se reconnaitre certainement. Ils me demandent si je connais la Bible. Je leurs repond que celle-la la nouvelle, pas trop. Ils m'expliquent qu'ici Jesus a tenue une assemblee et qu'il a convaincu plein de monde. Il y a aussi fait le numero de celui qui marche sur l'eau. Un lieu important, donc. Respect. Je me surprend meme a saluer sobrement, d'un signe de tete, le socle au milieu de l'eglise, comme le vieux monsieur a cote. Anecdote plus ou moins rogolote: je cherchais les toilettes, on m'a dit c'est par la. Je pousse une porte, et manque de pot c'etait le couvent des bonnes soeurs. Je me suis senti un peu une merde a ce moment-la. Elle a ete sympa, ele m'a mis a l'aise. J'ai trouve les chiottes. Soulagement.

Je repars. Je reprend avant un cafe turc a la buvette de l'entree. Le vieil arabe est gentil. J'ai tout d'un coup une enorme envie de baqlawas, cette delicieuse patisserie arabe. Il me dit que j'en trouverai dans le village de Brar, sur la route de Tiberiade. Il me dit que j'y ariverai facilement, et meme que je pourrais revenir. Clin d'oeil imperceptible. Sacre humour arabe. J'en demandais pas tant !



Avant de partir, il se passe quelquechose que je vais regretter. En enlevant mon pull, les clips solaires de mes lunettes tombent par terre. Je ne m'en rendrai compte qu'a Tiberiade, quand le soleil aura reapparu. Et merde, je suis a nu. Fini la gueule de boq gosse que vous voyez en haut de cette page. Enfin, jusqu'a ce que j'en rachete a Paris. 300 balles quand meme, ca fait chier, heureusement que le prix sera moins impressionnant en Euros.



Je veux mes baqlawas, y'a que ca qui compte. Bon mais le lac est beau a ma gauche. Je coupe la voie inverse et j'arrete ma Hyundai Accent sur le bas-cote. En fait, c'est en France qu'on appelerait ca un lac, le Lac de Tiberiade. Mais ici on appelle ca la Mer de Galilee. C'est beaucoup d'eau quand meme, et tout ca c'est a boire. Israel compte sur cette etendue d'eau pour boire et arroser ses plantes. Le niveau a deja monte d'1m20 avec les pluies d'hiver. Et c'est sans compter la fonte des neiges du Hermon en Mars. C'est une bonne annee. Un calme plat magnifique. Comme si Il voulait me le faire ressentir davantage, pendant 2 minutes aucune voiture ne passe sur la route a la quelle je tourne le dos. Je savoure. Mon esprit se vide dans cette eau divine. Un canard vole a 30cm de la surface, il a de la chance le salaud. Je suis jaloux encore une fois. Mais j'ai meme pas envie de le tuer. Ils ont l'air de s'eclater.



Je veux mes baqlawas. Le vieil arabe m'a dit de tourner a Migdal, au niveau de la station essence Sonol. Je rentre dans le village juif. Je suis en train de me perdre. Jusqu'a present je suivais la maxime de Rabbi Nahman de Braslev, "Si tu te perds, ne demande pas ton chemin a quelqu'un qui le connait, tu risquerais de ne pas t'egarer", droits de transmission a notre messagere sous prozac. Mais je vois cette nana qui se ballade avec son manteau bordeaux. Deja de dos elle est belle. Je l'arrete, elle assure aussi bien vue de devant. Un type judeo-arabe indefinissable, mais l'accent confirme sa judaite. Je lui explique que je cherche des baqlawas. Avec un sourire, elle s'arrete sous la pluie, pas vraiment derangee, moi a l'abri dans ma caisse, avec quand meme le bras accoude nonchallamment pour garder le style. Elle m'indique un chemin complique pour arrive a Brar. Je l'aurais bien emmenee, mais a tous les coups elle respecte le chabbat. Un feeling comme ca.



J'ai demande mon chemin, mais je m'egare quand meme. Il y a devant moi ces deux falaises qui se regardent, hauteur evaluee a 500 metres. C'est vert, magnifique, comme si la terre avait ete dechiree au couteau. C'est le Wadi Arbel. Un village arabe. J'entre, il y a des jeunes adosses au muret, decontracts. Je leur demande ou je peux trouver mes baqlawas. Ils m'indiquent une boutique dans le sous-sol d'une maison. La vendeuse a un sourire plein de gentillesse. Mais elle n'a plus de baqlawas. Nulle n'est parfaite. Pourtant j'ai fait l'effort de bien faire le q guttural de "baqlawa", mais elle n'a pas vraiment reagi, je crois meme me souvenir qu'elle m'a demande de repeter. Apres j'ai dit "baquelaouat" avec un accent franco-israelien a couper au couteau, si j'ose dire, et elle a compris. Elle me dit quand meme ou en trouver. Dans le village voisin.

En partant, je regarde la vallee verte creusee dans la roche. J'ai envie d'y aller. Je vois des bergers au loin, avec des vaches. Mais toujours l'envie de baqlawas qui reprend le dessus. Je renonce au paysage. J'y retournerai avec une copine.

Happy End. Restaurant Al-Wadi. Il en a tout un plateau. J'en demande neuf. Il me dit prends en dix. Cinq plus cinq ? Il m'en offre meme un 11eme pour gouter. Trop bon. 20 shekels pour ces dix morceaux de bonheur. Ca valait le coup de chercher.



Au fait, ce village arabe denomme Brar, je l'aurai jamais vu. Je sais meme pas s'il existe. Pas sur la carte en tous cas.



Je redescend vers Tiberiade, le coeur leger. Tverya est vide comme un Chabbat. Normal c'est Chabbat. Et puis je realise pour mes clips de soleil. Je suis trop deg. Je me casse. A l'ouest.



70km. Arret a Haifa pour prendre le cafe chez Tonton. Je ramasse ma soeur a l'occasion chez son copain. Je la ramene a son Kibboutz pres de Jerusalem. 150km. Je prends un cafe chez elle avec un bebe caniche sur les genoux. Ils veulent la donner. J'ai envie de la prendre. Je vais reflechir. C'est une grosse responsabilite. Je rentre a Tel-Aviv. 70km. Je m'assois devant l'ordinateur. Un mail d'une amie, toujours aussi agreable. Un peu de rhetorique avec Olivier et Widad. Et puis ce texte pour ne pas oublier cette journee, qui vaut tellement plus que 60 litres de Super 95. Parce que demain, au boulot, le C++ risque de prendre a nouveau le dessus sur mon esprit libere.



Carte de mon pays, et recapitulatif en rouge:





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