jeudi 6 février 2003

Guerre et Lachete



- Mais c'est pas des preuves !

- Bon sang, t'es con ou quoi, on a un enregistrement de conversation téléphonique

- Ouais ouais, mais c'est peut-être toi qui parle en arabe

- Putain, et les photos ?

- Arrête, les photos on fait ce qu'on veut avec. Tu mets la date dont t'as envie, tu retouches avec Photoshop, et le tour est joué !

- Mais dis-moi tu joues a quoi, là ?

- Je dis qu'une agence de renseignement est la pour manipuler, alors c'est tout ce que je pense de "preuves" émanant de la CIA..

- Euh, ouais, mais c'est aussi pour savoir des choses. Putain on se casse le cul à vous montrer les résultats d'une technologie qu'on garderait bien pour nous, et vous nous faites chier avec votre scepticisme a la con

- Oui mais Descartes il dit qu'il faut toujours douter.

- Douter my ass, ouais ! On est amis ou pas ? Tu nous fais plus confiance ? Et Al-Qaida en Irak ?

- Ha ha, le parti Baas de Saddamichou il est laïc. C'est pas lui qui va fricoter avec les islamistes

- Mais c'est pas une question de politique parlementaire ! C'est une question d'alliance militaire ! Purée, on vous a donne la liste des agents d'Al-Qaida qui résident à Bagdad. Même vos services les connaissent. C'est les plus dangereux en plus.

- Ecoute, Saddam a des défauts, mais on SAIT qu'il n'a jamais soutenu le terrorisme. C'est un mec bien de ce côté là.

- Mais j'ai vraiment à faire a un attardé, là ! Il s'égosille tous les jours a promettre de l'argent aux familles des kamikazes palestiniens. Il se félicite des attentats du 11 septembre. C'est quoi c'est un pacifiste ?

- De toutes façons c'est à l'ONU de décider. C'est une affaire pour le Conseil de Sécurité présidé par la Syrie, et pour la Commission des Droits de l'Homme présidés par la Libye. Pour la conférence sur le désarmement, faisons confiance a l'Irak, c'est eux qui président cette année, d'après l'ordre alphabétique. Eh, l'ONU c'est important quand même. C'est notre référence morale !



Bon, je sais pas ce qu'ils nous veulent là les Français avec leurs preuves à la con. Ils ont besoin qu'on se prenne un scud aux gaz innervants à Tel-Aviv ou quoi ? Bon je mets mon masque et j'arrive.



Cette discussion aurait pu avoir lieu entre Churchill et Daladier en 1938. Vous savez, quand tout le monde "savait" pour les projets de génocide. Mais bon y'avait pas de preuves, juste des indices. Il aurait fallu faire un procès a la Société des Nations, avec un jury, pour décider de la dangerosité d'Hitler, pourtant si inoffensif a la lecture de Mein Kampf. Ou alors envoyer des inspecteurs visiter l'Allemagne en première classe, avec les laboratoires du Zyklon B repeints avec des fleurs pour l'occasion. On serait arrive a un verdict aux alentours de 1948, faute de preuves, toujours.

Encore cette phrase historique qui me revient comme une chanson démodée : "Vous avez choisi le déshonneur pour éviter la guerre, vous aurez le déshonneur et la guerre".



Les Français font appel à la logique pour contrer l'Amérique. Vous savez, celle des mathématiques de classe prépa, où une démonstration sans bonne preuve mérite un zéro. La seule différence entre la logique mathématique et la logique politique, c'est que la seconde n'a pas d'axiomes, de postulats de départ. Il n'y a que des motivations et des intérêts. Eh oui nous les hommes on est comme ça, on n'est pas des chiffres, on est des soldats de l'avenir. Dommage, ça fait de la logique politique une philosophie ouverte, qui peut partir dans n'importe quel sens. Le scepticisme, la rhétorique, peut servir n'importe quelle cause, elle peut démonter n'importe quelle preuve, par essence incomplète. Aucune fierté à trouver là-dedans, c'est un jeu de bassesses. On le voit bien à travers le débat israélo-palestinien, ou même le débat entre capitalisme et communisme, ou entre la gauche et la droite.

Les Francais se servent du scepticisme comme un autre se servirait de la peur. Dans le seul but de servir ses motivations et ses intérêts.



Dans les intérêts de l'Amérique, il y a le pétrole de la famille Bush-Enron, certainement. Mais il y a aussi sa propre protection et la protection d'Israël en dégommant Saddam, ou plutôt éviter qu'Israël s'en charge pour ne pas exciter davantage la rue arabe. Il y a aussi une vision utopique de démocratisation du Monde Arabe en commençant par l'implantation, artificielle au début, d'un régime pro-occidental en Irak, façon Karzai d'Afghanistan. En regard de ces motivations que je soutiens, que le Monde Arabe devrait soutenir comme une chance de sortir de son marasme, le pétrole apparaît comme une motivation cupide mais mineure, qui finalement est la bienvenue pour servir l'Histoire.



Mais les Francais aussi ont leurs intérêts à empêcher cette guerre. Eux aussi ont des contrats pétroliers avec l'Irak qui attendent la fin de l'embargo. Dans un contexte qui laisse justement l'Amérique sur la touche, d'ou leur plaisir à nager dans cette boue actuelle. Ils ont aussi d'énormes intérêts dans le monde arabe, qu'il faut donc amadouer par tous les moyens. De même qu'une masse arabe dans ses propres rues, comme une épée de Damoclès qui pendouille sur le fil de la politique étrangère. Eh 10% de l'électorat, la deuxième religion de France, une jeunesse militante, faut faire gaffe, et on les comprend. Ils misent sur l'intégration dans la République et c'est une bonne chose, mais c'est pas encore arrive, et la situation est plus que fragile en attendant. Alors on préfère miser sur la lâcheté, sur le léchage de fesses des pires régimes, ceux qui martyrisent leur peuple et menacent leurs voisins. La survie d'Israël ? C'est romantique mais c'est le dernier de leur souci, voire pire: une "parenthèse de l'Histoire". Les juifs de France ? Eh, dis-moi, 1% ça fait pas lourd dans la balance électorale. Et puis ils sont calmes, eux, alors on peut leur chier dessus. On est cynique ou on ne l'est pas.



Moi je sais que l'attentisme, la lâcheté, la collaboration finissent toujours par se retrouver devant le jugement de l'Histoire. La France sera toujours la France et l'Amérique toujours l'Amérique. Mon seul souci c'est que ça ne se fasse pas sur les cendres de juifs gazés encore une fois. Et pour cela je suis particulièrement sensible aux discours de guerre préventive, et particulièrement dégoûté par les discours de paix lâche.



Pourtant j'hésite à embrayer complètement sur un discours de guerre. Je suis lâche moi aussi, ou plutôt je sais ce qui est mon rôle et ce qui ne l'est pas. C'est une trop grosse responsabilité, il y a des pros pour ça. Des gens qui savent. Ces gens-la sont peu nombreux, ils dirigent nos pays, ils ont tous les éléments en main. Moi je ne suis sur de rien, mais je respecte ceux qui font des choix. J'en aurai certainement à faire à mon tour, mais pour l'instant la guerre c'est pas mon job.



Peut-être aussi parce qu'ils nous ont balancé "Imagine" de John Lennon ce matin sur Radio Tsahal, juste après les news. Pas mal pour une radio militaire. Ca m'a calme en tous cas, comme quand ils nous passent des chansons tristes ou relaxantes après un attentat pour détourner les velléités populaires de vengeance. Cette mélodie utopique résonne dans le coeur de chaque homme. En tant que Juif, je crois a l'utopie de John Lennon, mais c'est pour après le Mashiah (le Messie), quand les hommes seront libérés, la on pourra parler d'abattre les frontières. Et je sais qu'Israël aura un rôle fondamental à jouer ce jour-là, et pour ça il faut justement renforcer ses frontières, y réunir les Juifs autant que possible. Le paradoxe il est la: pour préparer l'utopie du "World will be as one", chacun doit renforcer ses frontières, définir son individualité. Peut-être même faire la guerre si c'est nécessaire. J'espère que la patience est de mise la ou John Lennon se trouve.



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