Nous vivons les dernières heures de l'année 2006. Peu de gens s'en émeuvent dans ma proximité géographique, puisque le nouvel an "civil" traverse la société israélienne dans une indifférence digne de la fête de l'indépendance de la Namibie. Pas ou peu de soirées de la Saint Sylvestre, si ce n'est dans les peubs de la rue Allenby de Tel-Aviv où traînent quelques deracinés. Il faut rappeler que le premier de l'an n'est pas ferié ici, ce qui suffit à freiner pas mal d'élans festifs.
De mon coté, je me prépare à une soirée des plus banales, ponctuée de jeux sur le tapis avec une fillette adorée depuis 15 mois, suivie de la tâche difficile de l'endormir sans les bras. Et puis les heures volées à la vie de couple, ou l'isolation devant l'ordinateur, ou un bouquin, enfin rien que le bonheur simple de tous les jours. Il se peut même que je vive le compte à rebours dans mes rêves prolixes.
Une de mes premières joies d'immigrant en Israël fut de quitter enfin la pression sociale du nouvel an. Cette obligation absolue de ne pas rester chez soi pour regarder Patrick Sébastien nous gueuler combien nous sommes misérables de ne pas avoir été capables d'être invité à la moindre soirée dansante. Comme tout le monde s'en fout ici, cela nous laisse le choix. J'ai d'ailleurs passé en Israel certains de mes meilleurs réveillons, peut-être grâce à ce choix qui m'était laissé.
Il n'empêche, que bien qu'ayant épousé, au sens propre du terme, l'indifférence juive au nouvel an civil, je suis encore capable de me souvenir de chacun de mes réveillons depuis l'âge de vingt ans, les bons comme les mauvais. Ce qui veut bien dire que cet évènement revêt encore son importance à mes yeux, et qu'il en sera toujours ainsi.
Et oui, je dois avouer sous la torture que cette fête me manque. Parce qu'il n'y en a pas de telle dans le calendrier juif, et qu'aucune de nos fêtes, bien qu'agréables et folkloriques, n'est aussi concentrée dans la seconde que le nouvel an.
Rosh Hashana commence à ce moment indéfinissable qu'est l'heure qui précède la tombée de la nuit, un instant insaisissable (autrement que dans l'éphéméride du journal), et donc inexistant.
S'il faut chercher du coté de la dimension festive, il y a la Fête de l'Independance, en bon hebreu le Yom HaAtsmaout. Voici certes une émotion nationale qui manque cruellement à la France, dont le rapport à sa propre histoire a jauni encore plus que les murs des boulevards haussmanniens. Mais cette joie, que je partage, n'est pas la mienne, car ni moi ni ma famille n'ont contribué à cette independance. Je ne fais qu'en profiter, sans la mériter.
Niveau fête alors, il ne reste que Pourim, le carnaval juif. Une fête du deguisement bien plus intense que le Mardi Gras de mon enfance, qui ne colora plus rien au delà de l'école primaire. J'ai en revanche le souvenir de fêtes mémorables de Pourim, dont celle qui a semé le germe de mon mariage. Mais le fait est que je peux manquer de sortir pour Pourim, sans tomber dans la deprime. Donc ce n'est pas si vibrant que çà pour moi.
Parce que tout ce qui manque à toutes ces fêtes, c'est le Basculement. Cette excitation débile et ô combien savoureuse du changement, du renouveau qui érupte par magie le temps d'une seconde. Une seconde avant, on n'est que saoul d'une année qui a dit tout ce qu'elle avait à dire, on ne fait que chercher l'être aimé pour lui voler le baiser-tampon. Une seconde après, tout ça ne compte plus, puisque l'on se voit offrir soudain une seconde chance, une nouvelle année toute fraîche, déjà sucrée, et pleine de ces mille résolutions auxquelles on croit si naïvement et si fermement. Le nouvel an est un instant de magie immédiate, en rapport direct avec le temps, tandis que toutes les autres fêtes, qu'elles soient juives ou non, ne relèvent que du miracle patient et déconnecté de tout rapport au temps vécu.
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