mercredi 4 février 2015

Azcara


Ça commence avec l'image de cette tombe. Ça commence là où ça finit. Il y a cet arbre gravé dans le granit, la contribution de mes menus talents de dessinateur amoureux des courbes simplistes. Pourquoi cet arbre, je ne sais pas vraiment. Je devrais savoir, pourtant, c'est pour l'éternité. C'est venu comme çà, avec l'approbation de mes soeurs, je crois. Dans mon oraison j'avais dit "forte comme un arbre, fragile comme une branche". Ça a marqué quelques esprits. Un arbre c'est bourré de symboles. C'est la vie, la continuité. On est tous, quelque temps, à la fois le tronc fort pour ses enfants, et une branche cassable sous le poids des années. Mais c'est quand même très général. Et puis il y a la date: טו בשבט, Tou BiShvat, la fête des arbres. Sauf que non, c'est טז בשבט. C'est le lendemain. C'est la fête des garçons, rien a voir. Ça prête quand même à confusion au premier coup d’œil. La lettre Zayin ressemble vachement à la lettre Vav. Elle le suit aussi, comme une ombre qui tremble, qui est sur le point de se disloquer. Comme les premières toux sèches. Elle m'avait fait part de son pressentiment que sa vie sera courte, avant que je la fasse taire avec mon sempiternel "Mais nooonnn, Maman!". J'aurais du approfondir la discussion avec elle. Je ne sais pas combien de temps après on entendit le mot de fibrose pour la première fois. Je ne me souviens plus de cette période-là, alors que j'ai une bonne mémoire des chronologies.
Cet arbre... Ce טו ou ce טז. Un sosie. Un Zayin ressemble visuellement à un Vav si on regarde mal, mais le son est complètement différent. Il y a de la discorde dans le Zayin, de la colère, du cri. Comme une phase maniaque. Pourtant les toux et les coups de fatigue avaient commencé dans la déprime. Le mal mental nous empêchait de nous pencher sur le mal physique. Mais on avait perdu l'habitude de la mania. On ne l'a pas vu venir tout de suite avec le premier traitement au cortisone. On ne connaissait même pas le lien. Il y a eu ce délicieux passage par la phase normale, celle qu'on a si peu connu. Une Maman en bonne santé sous l'effet du cortisone, et simplement heureuse de vivre pendant quelques jours de grâce, Et puis très vite les projets prirent de l'ampleur, les susceptibilités aussi, les vieux dossiers resurgissant comme de vieux démons lors d'un passage en France au timing parfaitement inapproprié. Et puis le monstre explosa en mille morceaux d'une déprime aux allures de serpillière. Au même moment elle apprenait qu'il fallait quitter le nid de Tel-Aviv au nom de la cupidité immobilière. J’étais au Mur quand j'ai demandé un fils comme compensation pour tous ces tourments. Le choix de l'appartement a Kfar Saba s'est fait en catastrophe, dans de mauvaises conditions, avec des gens pas sympas.
Mais il s'est avéré être une bonne chose, comme quoi... Elle se réinventait dans de nouveaux murs plus spacieux. Elle était enfin près de moi. Mais plus assez près. La distance à pied était devenu essoufflante. Ce souffle qui ne cessa de s’éloigner pendant cette dernière année. Il y a eu le choc de l'annonce de la greffe comme seul recours. Cette bonbonne d’oxygène qui ne la quittait pas. Il y a eu aussi la joie de la Brit, comme une pause bénie. Et puis le pneumothorax. Les prières pour avoir un donneur. L’épouvante de la prière exaucée au moment de l'appel de l’hôpital Beilinson. Son dernier regard sur son appartement en fermant la porte a clef. Cette étreinte dont j'ai été sanctifié avant l’entrée dans le bloc. Et puis la détresse respiratoire, le coma de 15 jours, les rapports envoyés à la famille au loin la bas en France jusqu’à ce qu'on en ait marre. D'où vient ce poumon qui n’était pas assez bon ? La trachéo. Les paroles muettes. Lire sur les lèvres. Les petits progrès d'un bras qui bouge, l'espoir, la peur de la rééducation. Les discussions aussi, même si avec une seule voix. Quand je lui ai raconté mes hésitations au sujet de travaux chez moi, elle m'a dit cette phrase qui ne me quitte pas: "On a pas le temps de perdre son temps". Elle l'avait bien articulé, dans son silence. Où est ta voix Maman ? J'ai pas réveillonné. Pourtant nous avions un bon plan. Mais ça valait mieux ainsi, puisque le jour de l'an elle faisait sa rechute. On ne l'entendrait plus pendant le dernier mois et quelque. Ah si, elle se réveilla à la mi-janvier. Elle me demanda ce qui s'était passé. Je lui dit qu'elle avait fait une infection, pas un rejet. Elle me dit qu'elle était contente de m'avoir vu et qu'elle avait besoin de se reposer maintenant. Je jouais "Let it be" au piano quand Marilyn m'a appelé. J'ai attrapé un rabbin dans l'ascenseur. Je ne sais pas combien de fois j'ai récité le Shema. Avec les appareils c’était pas clair quand c’était vraiment arrivé. Mais je l'ai vue pleurer quand je lui ai fait entendre les voix de mes filles. Quand on meurt on pleure.


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